Le bassin minier, région la plus touchée par le chômage, s’impatiente de voir la situation s’améliorer.
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YAAKOUB MABROUKIa 25 ans et déjà deux ans de chômage. Après la révolution, ce titulaire d’une licence de prothésiste dentaire avait repris espoir. Il a passé plusieurs des 800 concours de la fonction publique lancés pour résorber le chômage endémique : «ministères de la Justice et de la Défense, compagnie des chemins de fer», énumère-t-il.
Et, comme bien des familles du bassin minier de Gafsa, dans le sud tunisien délaissé, la sienne a déposé un dossier à la Compagnie des phosphates (CPG), espérant y faire entrer l’un de ses dix enfants, dont seul l’aîné a un vrai travail. En février, la CPG, entreprise publique de 5 000 salariés, a promis d’en recruter près de 4 000 autres, sur critères sociaux. Une aubaine : c’est quasiment la seule industrie dans cette région où le taux de chômage atteint le triste record de 28,7 %.
Mais le 23 novembre, quand Yaakoub et ses amis de Moularès ont lu la liste des embauchés dans leur ville, l’espoir a fait place à la colère : «Ils n’ont pas recruté les pauvres, mais les gens qui avaient déjà un travail, le fils d’un médecin, des émigrés, même un policier», assurent les jeunes gens. La nouvelle s’est propagée, la rumeur s’en est mêlée : cette nuit-là, plusieurs bâtiments de la CPG ont été saccagés et incendiés dans la bourgade minière.
Un an après la révolution, l’emploi manque toujours cruellement. C’était pourtant la principale revendication des régions de l’intérieur. Dans une économie en berne, la situation s’est même aggravée : ils étaient 700 000 chômeurs au dernier décompte officiel. Ali Kraiem, responsable des bureaux d’emploi de la région, dépeint un sombre tableau : «Les investisseurs ont pris la fuite, les petites entreprises ont fermé, la révolution libyenne a forcé de nombreux Tunisiens émigrés à revenir.»
«Rien ne revient aux citoyens»
Les jeunes de Moularès gardent au cœur un sentiment d’injustice persistante. En 2008 déjà, un concours de recrutement truqué par le népotisme et la corruption a déclenché une révolte de plusieurs mois. «Après la révolution, on attendait qu’on s’occupe de cette région qui en a été l’étincelle, mais on n’a rien récolté», déplore le syndicaliste Adnen Hajji. «Gafsa exploite une richesse nationale, mais rien ne revient à ses citoyens. La CPG doit investir 20 % de ses bénéfices pour diversifier l’économie locale», préconise cet enseignant baraqué, emprisonné un an en 2008.
L’entreprise a promis une cimenterie, des puits pour l’irrigation, etc. Maintenant les chômeurs en ont assez de prendre leur mal en patience : «Où est la cimenterie ?», interpelle un graffiti sur le mur de la CPG à Moularès.
Après l’accalmie due à la campagne électorale, la région bouillonne. Toutes les mines sont à l’arrêt. Une dizaine de diplômés chômeurs squattent le local de l’UGTT à Gafsa. Devant la municipalité, 24 jeunes «sans diplôme, sans travail, sans épouse, sans rien» ont installé une tente, un narguilé et quelques tabourets. Bien décidés à rester jusqu’à ce qu’on leur donne un travail.
Le nouveau gouvernement emmené par les islamistes d’Ennahda aura fort à faire. Dans sa première interview, le président Moncef Marzouki a demandé d’observer une «trêve sociale» de six mois, le temps de remettre l’économie sur les rails. Les Tunisiens ont déjà pris date.
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